Développement : une géométrie efficace

Entretien avec Jean-Christophe Deberre

Praticien du développement doté d’une longue expérience de l’Afrique,  Jean-Christophe Deberre fut directeur du développement au ministère français des affaires étrangères. Il est actuellement directeur adjoint du bureau Afrique du PNUD, en poste à Dakar.
 
Jean-Christophe Deberre a accepté de répondre – à titre personnel - à nos questions sur les enjeux, selon lui, de la gouvernance. Nous publions ici des extraits de sa contribution, à retrouver intégralement ci-dessous.
 
RFI - La question de la gouvernance « obsède » le discours actuel sur le développement et tout le monde comprend à peu près de quoi il s’agit. Mais s’il fallait définir deux ou trois pistes prioritaires d’action pour la mise en œuvre effective d’une « bonne » gouvernance, lesquelles discernez-vous ?
 
Si la gouvernance reste la « boîte noire » du développement, c’est que, dans de trop nombreuses situations encore, on a recours à elle pour déchiffrer après coup ce qui a engendré une crise, sans malheureusement avoir pu, su ou voulu empêcher que celle-ci ne survienne. C’est ce qui explique cette recherche « obsédante », pour reprendre le terme, de la « bonne » gouvernance (…)
 
Mais l’expression est trop problématique pour la retenir sans réserve. D’abord, le monde offre une telle diversité de formes d’organisation politique et sociale qu’il faut renoncer, malgré l’urgence du développement, à imaginer une incarnation de la gouvernance qui serait aussi réductrice qu’impossible à trouver. Et la leçon à tirer du débat, tellement riche et contradictoire sur le sujet, c’est que la gouvernance idéale n’existe pas (...) 
 
La géométrie d’une gouvernance efficace organise aujourd’hui le débat autour de trois grands sujets : les Droits, la construction démocratique, le rôle et la forme de l’Etat (…) Ce triangle n’est qu’une manière de représenter les termes du problème, il n’en donne ni la formule, ni le processus pour l’atteindre ; et il se réduit encore moins à on ne sait quelle recette qu’il faudrait appliquer. Mais il est sûr que si la gouvernance ne doit justement plus être le problème, mais la solution du développement, il est urgent de les traiter ensemble. Respect des Droits, relégitimation permanente de la démocratie pour la faire vivre, définition d’un Etat capable, ne peuvent toutefois voir le jour dans certains scenarii de sortie de crise où tout est à reprendre. Le pilier est sans doute ici la reconstruction d’un système de sécurité, premier fondement de la gouvernance, et qui puisse premièrement redéfinir le contrat entre civils, militaires, forces de sécurité, pour   recommencer à garantir aux populations un fonctionnement qui leur épargne durablement violences et exactions de toutes sortes.
 
RFI - L’Afrique, singulièrement francophone, manque d’un tissu d’entreprises novatrices et créatrices de main d’œuvre. La faute en revient au contexte général, économique, administratif ? Ou à des facteurs plus directement identifiables comme par exemple le manque de « ressources humaines » ?
 
La part de l’Afrique dans l’échange mondial n’a en effet cessé de décroître au cours des dernières décennies ; ses recettes d’exportation reposent largement sur les matières premières ; elle n’est pas le continent qui les transforme, sauf exception ; elle est soumise aux aléas de la transaction mondiale, ce qui accentue la fragilité de son développement ; son tissu industriel reste modeste, pour toutes les raisons que l’on connaît (…). Il n’y a certainement pas de fatalité qui pèse sur l’Afrique francophone de ce point de vue, et c’est certainement la zone économique potentielle qui avec le traité de l’OHADA a obtenu les meilleurs résultats en matière d’organisation du droit des affaires. Reste que de multiples facteurs, dont ceux cités plus haut, contribuent à limiter son potentiel (…)
 
De façon plus générale, le handicap visible de cette partie du monde, sous l’angle économique, mais pas uniquement, renvoie à la question cruciale des capacités nationales. On ne peut pas dire que l’Afrique manque de ressources humaines et plus largement de capacités propres (…) Il ne s’agit pas non plus de s’en tenir aux performances améliorées de l’école, même si cela est indispensable, et d’ailleurs, l’effort de l’Afrique aura été un de plus marquants et remarquables dans le monde sur le front de la scolarisation depuis 10 ans.
 
Mais l’école n’est qu’une partie du problème, et toutes les situations montrent qu’inévitablement, une fois atteint l’objectif de scolarisation universelle, se posent ceux de l’emploi des jeunes, de la dynamique économique favorable à la création d’entreprises et d’initiatives de toutes sortes. Derrière cela, le débat sur la stratégie de croissance ne peut faire l’impasse sur un vaste projet national sur le potentiel humain immense qui le soutiendra, l’animera, y puisera confiance et espoir. Une telle ambition, encore une fois, dépend d’une gouvernance solide, soucieuse de l’intérêt général, qui crée et assure dans la durée le consensus nécessaire pour la faire naître, et surtout lui assurer à long terme les moyens de son implantation (…) Peut-être faut-il sortir de la sémantique habituelle du développement pour qualifier un tel projet, tant la question des capacités est ancienne, et peut paraître usée alors que c’est le mot seul qui l’est, et parler alors d’une stratégie nationale du développement humain, qui associerait le processus et son objet, et ouvrirait des horizons aux jeunes générations ?
 
Propos recueillis par courriel le 9/02/2008
 
Retrouvez l’intégralité de l’analyse de Jean-Christophe Deberre dans le fichier ci-joint.