Gouverner local… exercices pratiques 2

On peut conscientiser les populations, sensibiliser et former les élus, structurer les organisations villageoises... Il faut aussi et avant tout des ressources pour enraciner la gouvernance locale. Le témoignage de Chab Touré...

Vue de Ségou, ville historique du Mali et 3e ville par le poids démographique, la décentralisation a comme un parfum de tourisme : la vieille cité paisible des bords du Fleuve Niger, siège du royaume bambara du même nom, est devenue une étape obligée des circuits touristiques et son centre ville connaît aujourd’hui une activité dominée par l’artisanat et la vente de souvenirs. Le lancement, voici trois ans, du Festival sur le Niger, devenu une festival musical d’ampleur internationale, a accentué cette tendance, en métamorphosant l’espace situé en bordure du fleuve où se tient la manifestation. Cette initiative, c’est à noter,  montée par les opérateurs touristiques locaux, a impliqué fortement les élus et reste une affaire très municipale dans l’esprit : le tourisme comme levier du développement local ?
 
 
 
Chab Touré, figure incontournable de la culture au Mali et l’un des initiateurs des fameuses rencontres photographiques de Bamako, ne dira pas le contraire : il a pris la décision voici quelques mois de transférer son activité à Ségou, où il crée une galerie d’exposition qui est le pendant de sa galerie bamakoise. Pour lui, Ségou est un havre de paix et un lieu de resourcement, en même temps qu’un espace de plus en plus « in ». Ici passent touristes et personnalités du monde entier, quand Bamako fait figure d’enfer urbain où les initiatives s’engloutissent.
 
Chab Touré est aussi en prise directe avec le développement « à la base ». Il travaille depuis plusieurs années avec la coopération suisse, qui développe un gros projet d’appui à la gouvernance locale à Koutiala, à une centaine de km de Ségou. Koutiala, pour les initiés, est la ville du coton, au cœur de cette économie cotonnière qui a assuré pendant des décennies le développement de l’agriculture locale, une ville également frappée de plein fouet par la crise du secteur, qui sert de thermomètre à la grogne de la paysannerie malienne.
 
Le développement à la base, Chab Touré le confirme - et les collaborateurs du projet gouvernance à la mairie de Koutiala, que nous rencontrerons peu après, ne pensent pas autrement - passe par la question centrale des ressources. On peut conscientiser les populations, sensibiliser et former les élus, structurer les organisations villageoises, etc. Il faut aussi et avant tout des ressources pour enraciner la gouvernance et permettre que chacun s’y retrouve.
 
Une piste a été tracée à Koutiala. La pierre d’achoppement, pour les budgets communaux, c’est le recouvrement des Taxes de développement régional et local (TDRL), qui viennent en complément des dotations de l’Etat. Or la TDRL est un casse-tête : les populations s’en acquittent peu ou pas du tout, et les élus ont bien du mal à  justifier civiquement une pression fiscale dont leurs administrés doutent de l’utilisation pour leur plus grand bien.
 
Mais une parade a été trouvée, semble-t-il : observant en menant ses études de terrain que les populations de la région, appartenant à l’ethnie minianka, étaient très sensibles à l’émulation et à la compétition, Chab Touré a suggéré de tourner cette disposition au profit de la gestion locale. Ont ainsi été instaurés des concours entre villages, en matière d’acquittement des taxes, les plus méritants en la matière pouvant alors bénéficier de lignes de crédits pour mettre à l’œuvre leurs projets de développement. La mécanique a pris, les villageois y ayant vu aussitôt leur intérêt. Et la TDRL a vu son niveau de perception augmenter sensiblement. Au point que l’expérience de Koutiala fait figure de processus-pilote qui commence à susciter des émules ailleurs dans le pays.
 
Tout ceci, il est vrai, reste fragile : car conditionné à l’appui important d’un bailleur de fonds très engagé, et relatif à la bonne volonté d’équipes municipales dont le mandat vient à échéance. Mais une orientation est indiquée, dans un paysage de gouvernance locale qui reste souvent peu stimulant.