Une entreprise bien gouvernée…

Tout est lié : l’Etat a un rôle déterminant à jouer pour permettre l’essor des entreprises. Celles-ci à leur tour doivent améliorer leur « gouvernance ». Quelques questions passées en revue.

 
Quand le chercheur français Philippe d’Iribane examine les problèmes de gestion liées au contexte culturel, un thème qu’il connaît bien, il commence par pointer les différences d’attitude entre Français et… Américains. Partout les codes changent ou s’adaptent, signale-t-il ainsi. Lorsqu’on passe à l’Afrique, et notamment au Cameroun, il relève que  des actions de gestion « qui semblent aller de soi » peuvent devenir problématiques sous des cieux différents : ainsi de la notation ou de la sanction, qui mettent le responsable en difficulté avec les siens. Et, on a pu le vérifier, les habitudes ont la vie dure… Tout ceci, résume-t-il, parce qu’on a deux grandes formes d’éthique par le monde : une éthique de fidélité aux personnes, où le contrôle est assuré par le groupe (c’est plutôt le cas en Afrique); et une éthique de fidélité aux principes, où les obligations sont envers « n’importe qui », l’Occident ayant poussé le plus loin dans cette direction, en dépit de quelques (spectaculaires) inconvenues récentes. D’un horizon à l’autre, le dosage de ces deux éthiques sera très différent. Et les moyens de remédier aux déséquilibres en matière de gestion très complexes : mais « la marge de progrès est énorme », si tous les acteurs jouent leur partition.
 
Faut-il « tropicaliser » la gestion d’entreprise pour la rendre plus efficiente ? La question, prise au pied de la lettre, a le don d’irriter les gestionnaires africains. « Il y a la gestion et la… gestion, point final », commente un participant au Forum. La plupart des intervenants, tel Djibril Baba Tabouré, entrepreneur malien à la tête du REAO-Mali (Réseau des entreprises d’Afrique de l’ouest), mettent ainsi l’accent sur les fondamentaux de la gestion d’entreprise, insuffisamment pris en compte en Afrique : le rôle décisif d’un conseil d’administration correctement constitué ; l’importance de la culture comptable là où l’on constate l’effacement des commissaires aux comptes ; la confiance dans la justice (ou l’administration) ; la nécessité de pouvoir déléguer alors que la rareté des ressources humaines est criante, etc. Tout ceci renvoie à un problème de confiance, dont l’absence pénalise les sociétés de capitaux. Et explique que le secteur informel reste si dominant.
 
De l’Etat, on attend beaucoup, évidemment : notamment qu’il fasse appliquer les lois, qu’il exige le respect des actionnaires, qu’il responsabilise les dirigeants et rende effectives les possibilités de sanction. « Il faut que les chefs d’entreprise sachent qu’ils peuvent aller en prison pour l’irrespect des lois », note Djibril Baba Tabouré !
 
 
Entreprises publiques : que l’Etat ait une vision ! ------------------
 
Victor Ndiaye est un consultant sénégalais qui va droit au but. Et son point de vue, exposé avec brio, est stimulant. Examinant la situation des entreprises publiques en Afrique, il signale avec force que si 50% des entreprises publiques, dans un pays comme le Mali, fonctionnaient correctement, une bonne partie de la question de gouvernance serait résolue…
 
Leurs déficiences avérées, lors des décennies passées, ont poussé tout le monde à prôner une privatisation généralisée. Parfois la privatisation permet en effet d’améliorer la gestion, mais pas véritablement de répondre au problème posé, notamment dans les secteurs stratégiques du développement. C’est l’exemple de l’électricité au Mali, où par deux fois l’Etat est revenu sur une concession de gestion au secteur privé. Or, il n’y a pas de fatalité, souligne Victor Ndiaye : une entreprise publique peut être performante, comme on le voit dans des pays pas si lointains – tel le Maroc, qui aujourd’hui pousse ses pions jusqu’en Afrique subsaharienne dans le domaine des transports ou des télécommunications.
 
Alors, l’Etat : celui-ci doit avoir une vision claire de ses priorités, et des secteurs pour lui stratégiques, à conserver tout ou partie dans le domaine public. Le reste, c’est de la gestion… même s’il faut admettre que l’Etat n’est pas très fort pour choisir, par exemple, les meilleurs dirigeants d’entreprises publiques. Il doit tout au moins encourager la transparence des comptes et donc leur publication, redonner son rôle au conseil d’administration, mieux organiser sa tutelle, éventuellement en la concentrant, et… laisser les dirigeants travailler, une fois définie la feuille de route.