Gouverner local… exercices pratiques 1

Les projets sans les moyens : ou comment résumer l’ambition et les limites d’une gouvernance à l’échelle locale...

 
Nous sommes en juin  2008. Sur les ondes de Radio-Bélédougou de Kolokani, ville située à 120 km de Bamako, une émission spéciale sur la gestion communale est diffusée. La radio s’est associée à l’initiative d’une ONG, le CAEB, qui organise dans les communes environnantes des Forums démocratiques : les élus sont invités à y exposer leurs projets mis en oeuvre, les représentants des villageois réagissent, c’est un espace d’ « interpellation démocratique » au niveau local qui doit permettre le débat et la participation citoyenne. Un test pour la gouvernance…
 
Ce jour-là c’est le maire de la commune de Cioribugu qui expose son bilan. La commune a élaboré en 2004 un programme de développement économique, social et culturel. Une revue de détail est proposée ; en l’occurrence, on entend surtout citer une liste de projets non réalisés : la construction de 3 magasins de stockage de graine n’a pu être exécutée ; pour l’élevage une fourrière a été construite, mais les parcs de vaccination prévus n’ont pas été réalisés ; côté hydraulique, sur 7 puits programmés, deux ont été creusés ; les pompes n’ont pas été réparées ; quatre petits barrages villageois n’ont pas vu non plus le jour ; on devait aussi équiper 4 villages en moulins : sans suite ; 12 classes pour l’école devaient être érigées, ainsi que d’autres bâtiments : aucune infrastructure n’a pu voir le jour (mais 9 maîtres ont été recrutés)… le tout s’explique aisément : pour l’essentiel, les projets non exécutés l’ont été faute de ressources.
 
Le maire nuance toutefois ce bilan peu flatteur, en signalant que quelques activités hors programme ont été réalisées : forages, création de centres d’éducation pour le développement, création d’une banque de céréales et équipement d’agriculteurs en matériel de labeur. Ceci grâce à l’intervention d’une ONG internationale.
 
Voilà du concret. Et un exemple qui résume l’ambition et les limites d’une gouvernance à l’échelle locale : de gros efforts ont été fournis pour préparer les élus à leur tâche de développeurs, d’amples concertations ont été menées, des perspectives et des plans ont été élaborés. La « mobilisation », à grands renforts de sensibilisation, se heurte pourtant à un écueil, toujours le même : l’absence de ressources.
 
Mais ce n’est pas le seul souci, comme en témoignent les éléments recueillis par les équipes de l’Institut des sciences humaines (ISH) de Bamako, qui a entrepris un travail de recherche pluriannuel sur l’  « évolution de la gouvernance locale au Mali », coordonné par l’anthropologue Moussa Sow. L’approche est transversale et associe plusieurs profils de chercheurs. Il s’agit d’envisager quels points de blocage et quelles dynamiques sont à relever pour parfaire une réforme de la décentralisation qui, au Mali, est negestation depuis 1993 et a été effectivement lancée en 1999. Mais, souligne un document de l’ISH, le bilan est mitigé : les populations ne perçoivent pas encore les avantages annoncés de la « grande » réforme (et marquent toujours une grande méfiance à l’encontre des élus), les élus, eux,  « appréhendent mal les tâches qui leur sont assignées » et se sentent peu appuyés par l’Etat, dont les représentants ne semblent guère disposés à abandonner leurs prérogatives -  quand l’Etat lui-même tergiverse sur la mise en œuvre du transfert de compétences.
 
Bref, la machine est poussive. Si des acquis existent, si l’implication de la société civile progressivement s’affermit, et si surtout, comme le souligne Moussa Sow, il n’existe pas vraiment, en dehors d’un développement à la base, d’alternative aux impuissances manifestes de l’Etat, le fait est que le chantier reste considérable. En ajoutant que, souvent, le dynamisme en matière de gestion locale est le fait des partenaires extérieurs : les ONG sont devenues des relais essentiels de la gouvernance. Mais les ONG ont leur propre logique de développement, et on peut penser qu’elles ne développeront pas le Mali… à la place des Maliens.
 
Voilà en tout cas de quoi réfléchir, à la veille d’élections communales (fin avril 2009) qui risquent de constituer une dure épreuve pour nombre d’élus se sachant encore bien peu aimés.